Aimer - connaître

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Photo de Guy Leroy

dimanche 30 août 2009

Pourquoi lire le journal tous les jours ?

Pourquoi donc la lecture quotidienne du journal est-elle pour beaucoup un incontournable ? N’y a-t-il pas un certain conformisme voire une part de voyeurisme à être si souvent mêlé aux tristes « affaires » de ce monde ? Est-ce vraiment nécessaire d’être sans cesse informé sur « ce qui se passe » pour « tenir le coup » en société ? Qu’est-ce qui nous intéresse tant ? Le fait de savoir ce qui s’est passé nous fait-il être plus conscient de la gravité de certains événements ou nous fait-il devenir des militants plus actifs des valeurs morales et humaines qui font de l'homme cet animal si digne ? Ou encore, cela suscite-t-il ce fameux militantisme passif à la sauce hypocrite ? Comment gérer une telle masse d’information, sans attraper mal au ventre ?

Un essai de réponse...
Voir aussi ce joli site réalisé dans le cadre de travaux du Centre Paris Lecture avec les écoles de la Ville de Paris

La lecture du journal modifie profondément notre rapport au monde. C’est à mon avis un des premiers facteurs de « mondialisation ». En effet, plus les informations circulent (vite et beaucoup), plus le réseau de communication entre les gens à travers le monde est dense. Imaginons la circulation d’informations sur le net actuellement ? Quelle quantité ! Quelle vitesse ! Soyons attentifs à notre manière de lire la presse.

La terre a-t-elle gagné en humanité depuis que nous savons que des millions d’enfants mourront de faim aujourd’hui ? La race humaine a-t-elle pris conscience de l’infamie de la guerre moderne depuis que
nous connaissons les dommages qui sont causés aux civils ?

Ne clamons pas un « non » trop vigoureux trop rapidement ! Toutes les lectures ne doivent pas être "sérieuses", heureusement ! Pourtant, pour le commun des mortels, que peut bien apporter la lecture régulière des « nouvelles » ? A priori, - car je ne peux qu’émettre des hypothèses – je prétends qu’on lit les journaux avant tout pour se divertir, c'est-à-dire se détourner au sens premier du terme – sauf peut-être lorsque l’on consulte journellement les avis mortuaires…

Restent pourtant très rares, les occasions où le lecteur Lambda cherche à approfondir sérieusement un événement de l’actualité par la lecture de plusieurs quotidiens. S’informer, oui, mais pour la plupart cela
signifie la lecture des titres, au mieux des têtes d’articles. Faire qu’on parcourt la vie de certains à la limite du voyeurisme, qu’on s’immisce dans les problèmes des familles ou qu’on tire à boulets rouges sur de présumés innoncents, voilà l’objectif avoué de ces tabloïdes alléchants et ces magazines populaires qui alimentent leur fond de commerce avec le dernier drame divertissant de nos congénères. Le « vite lu, rien su » de nos frères et sœurs en humanité est mis en vente pour quelques francs !

On peut bien avoir le sentiment de savoir et de connaître lorsqu’on a lu le journal. On peut avoir le sentiment d’avoir une intelligence plus claire en étant dans le secret des dieux, incontestablement. Pourtant, cela n’est pas une con-naissance. Il n’y a connaissance que s’il est possible 1. D’avoir un point de comparaison ; 2. De passer au-delà du préjugé et 3. De faire preuve d’une certaine bienveillance intérieure, si ce n’est d’une certaine compassion avec les personnes en jeu. Alors j’arrive-là à une lecture de la presse un tant soit peu plus ajustée. Mais n’y a-t-il pas un certain voyeurisme à parcourir le journal comme une photo instantanée du monde ? Comme si j’en étais retranché pour mieux en être spectateur ?

« 55 morts cet après-midi dans la bande de Gaza après qu’un homme ait déclenché sa ceinture d’explosifs ; 187 disparus en Méditerranée après que le crash du vol 000 eût été détourné par un terroriste ; une mère a tué ses trois enfants, ce dimanche, en les jetant dans le fleuve, etc. »
Et j’en passe. En imaginant le drame que constitue la perte d’un seul être cher, il m’est difficile de concevoir que quelqu’un puisse digérer autant de nouvelles catastrophiques en une seule journée – et pourtant nous le faisons tous. Or, il y a un moyen d’y parvenir ! Notre cerveau a cette capacité à "anesthésier", à banaliser les informations qui le heurtent, c'est-à-dire à les faire monter dans les niveaux d’abstraction jusqu’à les rendre en quelque sorte virtuelles. Il s’agit d’un processus extraordinaire à la fois pervers et vital.

Pervers premièrement, parce que ce processus nous permet de nous déconnecter d’une réalité trop lourde émotionnellement pour en faire une réalité abstraite plus ou moins lointaine et donc rapidement digérable. J’en arrive finalement à ce que les événements douloureux du monde, auquel je suis relié par la seule information, restent des mots sur du papier. Ce processus rend les informations simplement divertissantes parce qu’elles deviennent une sorte d’agréable émission de TV réalité, une science-fiction moderne ! Pire, j’arrive à prendre un tel recul sur eux que je peux même entrer en scène comme acteur autoproclamé de la situation. Je me fais le juge de tout, sans avoir part à ce qui se vit concrètement. Je me mets dans la situation de celui qui possède une information et je peux même jouer avec ce pouvoir de la détenir.
« Madame x a acheté une culotte rose qu'elle a ensuite jetée à la figure de Monsieur Y ; La star x a dit : "bla bla bla bla bla bla" au sujet du dernier film de Tartenpion ; Monsieur x a une nouvelle compagne, des photos le prouvent ! Quelle sera la réaction de Madame z, lisez nos témoignages... etc. »
Vital pourtant ensuite, car si nous étions réellement touchés au cœur par la masse d’informations le plus souvent négatives qui nous arrive de partout, nous en deviendrions fous. Comment parvenir à digérer l’énormité des malheurs qui secouent le monde au quotidien sans mourir ? J’ai fait une expérience intéressante à ce sujet alors que je souffrais de dépression et d’angoisses. A cette époque la lecture de la presse et le « spectacle » du Journal TV m’était devenu insupportable. La dépression avait gravement endommagé la capacité de mon cerveau à « anesthésier » la gravité et la réalité des informations reçues. Je ne pouvais plus lire la presse et n’allumais plus le poste de télévision pour cette raison. C’est à ce moment que je me suis rendu compte de la fabuleuse supercherie : l’anesthésie des consciences par le décorum sympa.

« Y'a la guerre au Vietnam, y'a la guerre au Cambodge, y'a la guerre en Iran, y'a la guerre en Afrique... ça s'rapproche hein. Mais moi JE M'EN FOUS... Je préférais la guerre au Vietnam à la guerre en Iran parce
que... elle était plus loin. J'trouvais ça plus sympathique. Regardez les morts en Afrique à la télé, en direct ! "Poivre d'abord" avec une p’tite chemisette très mignonne :
"- Eh bien cher docteur, ce p'tit enfant a donc la famine et vous n'pourrez rien pour lui,
Il va mourir malgré tout c'que vous lui avez donné comme médicaments..
- Ben oui vous voyez, euh l'œil ne réagit plus voyez, je l'pince il ne bouge pas...
Hann ! ça y est il est mort. Bon ben coupez, elle est bonne."
Coluche, « La misère »

 
Pourquoi donc lire la presse quotidienne ? Pour aimer notre monde, mieux vaut le connaître davantage, ce serait ma ligne de conduite. Pour autant, le connaît-on mieux en épluchant, un quotidien qui, par ailleurs, n’a aucun recul sur les événements qu’il traite ? N’a-t-on pas là qu’un « son de cloche » ? La connaissance va passer par le partage et la confrontation d’informations, mais surtout par l’expérience, la compassion et l’absence de jugement a priori. Résumons : il est impossible de le faire à l’échelle de tout ce qui nous est proposé quotidiennement à la une… Que nous reste-t-il ? A nous divertir du malheur des autres ? Avouons que, comme la satyre de Coluche, c’est tout de même souvent le cas.

Pourtant, pour dix lecteurs qui agissent ainsi, un seul prendra peut-être le téléphone pour réagir. Peut-être fera-t-il un don ? Paiera-t-il de sa personne, rassemblera-t-il son courage pour agir d’une quelconque façon ? C’en serait un sur mille, que cette seule personne entraînerait le monde sur la bonne voie, celle de l’espérance. Un Seul est mort un jour sur une croix dans un inexprimable drame, des milliards d’autres ont été entraînés à sa suite et attirés par ce salut offert. Telle est l’espérance chrétienne, telle est la Bonne Nouvelle dont le journal fait si rarement mention. Pour ce qu’ils font de beau, de bon, de bien, les acteurs d’une presse digne et honnête méritent qu’on salue leur courage, leur esprit de vérité, leur dévouement. Oui, lisons la presse régulièrement, soyons gourmands d’informations intelligentes, sensées, respectueuses de la vie d’autrui. Osons acheter des journaux de qualité ! Affûtons notre esprit critique et constructif ! Ainsi, nos discussions auront du crédit, du poids et sentirons l’espérance.

Post-scriptum : J’ai entendu parfois des gens dire des religieuses et religieux qu’ils étaient "déconnectés" du monde, probablement au titre de leur clôture… Rassurons-nous, la poste passe la clôture des couvents ! Et les informations y circulent parfaitement ! La vie religieuse n’affaiblit ni les neurones, ni la capacité à comprendre ce qui se vit ailleurs.

Pascal Tornay

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