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Photo de Guy Leroy

mardi 26 décembre 2023

Le pouvoir de pardonner

Le pouvoir de pardonner

Article publié dans le Magazine L'Essentiel du Secteur pastoral de Martigny (2022)

Pardonner : quelle gageure ! Par-delà la blessure infligée, rester les mains ouvertes... Cela ne laisse-t-il pas nombre d’entre nous perplexes ? La miséricorde, voilà bien une des plus puissantes et des plus étonnantes facettes de l’identité du Dieu de Jésus Christ. Une facette qui caractérise aussi l’être humain.

Dans son livre « Le pouvoir de pardonner » (1), la théologienne réformée et professeure de théologie à l'Université de Lausanne Lytta Basset explore les dédales du problème du mal non pas – comme souvent – à partir de ce que les choses devraient être et des concepts a priori de Bien et de Mal, mais plutôt à partir de l’expérience dont elle fait le point de départ de sa réflexion. Un point de départ tout intérieur, autrement dit le « moi souffrant » ou la part de moi-même qui souffre du mal subi.

En s’appuyant sur les récits bibliques, notamment à travers le Livre d’Isaïe (ch. 52 : le serviteur souffrant), sur l’Evangile selon saint Luc (ch. 23 : la Passion) et sur celui selon saint Matthieu (ch. 18 : les paraboles de la miséricorde), son travail fait apparaître que tout être humain possède en lui le pouvoir de pardonner, à condition – et c’est là le nœud de sa réflexion – qu’il accepte de mettre à nu sa blessure, de regarder en face ce qui s’est passé, et ensuite de tout « laisser aller » le mal subit sans condition et en toute liberté.

Dans les propos que je peux recueillir ça et là, j’entends souvent dire qu’il faut « oublier » et qu’ainsi on pourra pardonner. Mais qu’oublie-t-on ? Oublier, reviendrait à refouler, à séparer, à couper, à rejeter cette part de nous-mêmes qui a été touchée par le mal. A partir des textes bibliques, Lytta Basset prend justement le contre-pied de cette approche un peu trop spontanée et qui est si souvent le chemin du pourrissement et de la mort. En compagnie de la figure du serviteur souffrant et du christ lui-même, elle propose une autre voie.

Il s’agirait plutôt d’accepter d’entrer en relation avec cette part souffrante de soi pour la laisser nous parler, pour laisser remonter des tréfonds le suc même de ce qui a été touché pour permettre son intégration et donc la guérison. En abandonnant le fantasme de vouloir par nous-mêmes faire le tri binaire entre le Bien et le Mal, nous refusons de nous ériger en juge pour nous-mêmes. Et en refusant de nous enfermer dans la condamnation de nous-mêmes – confondant ainsi le mal et la part souffrante de nous en nous – nous nous laissons une chance de nous ouvrir à une réalité plus grande encore, l’ouverture à l’autre et la solidarité avec notre moi souffrant.

La théologienne vaudoise a détecté dans les Ecritures la source d’un rapport profondément différent à soi même qui trouve son origine dans le rapport de Dieu lui-même avec chacun de nous. Il ne s’agit jamais d’un rapport d’accusateur à accusé, car sinon comment Dieu nous ouvrirait au salut. Tributaires de cette vision infernale que nous attribuons parfois encore au Seigneur, nous nous enfermons dans un jugement mortel sur nous-mêmes au lieu d’éduquer notre regard au regard même de Dieu sur nous qui envisage, qui nous sauve de nos propres jugements durs et inquisiteurs sur nous-mêmes.

Après avoir renoncé à devenir le juge de notre part souffrante, Lytta Basset nous fait entrevoir un chemin de résurrection (chap. 3 de son livre) qu’elle trace à partir des éléments glanés à travers le chapitre 18 de l’Evangile de Matthieu, les paraboles de la miséricorde, qui sont de véritables perles. Elle en fait une sorte de programme :
Il s’agit premièrement (v. 1 à 4) de s’abaisser à entrer en relation (comme des petits enfants), entrer dans le Royaume dont Lytta Basset dit par ailleurs qu’elle est la part perdue de nous-mêmes. Puis, d’accueillir son enfance blessée au risque, sinon, de reconduire le mal et de blesser à son tour (v. 5 à 7).
Cet accueil de cette part blessée en nous, nous aidera à renoncer à une image de non entamée par le mal et à assumer cette image imparfaite de nous-mêmes (v. 8 à 9).
C’est l’acceptation de notre image entachée par le mal, qui va en réalité, dit Lytta Basset, de nous permettre de nous mettre en quête, en compagnie de Dieu, de notre moi perdu. (v. 10 à 14) et, de là, de nous mettre en quête d’autrui par qui le mal est venu (v. 15 à 20).
Les trois dernières étapes que fait coller notre théologienne au récit évangélique, se proposent de laisser aller le mal subi sans condition et en toute liberté (v. 21 à 27). Cela revient, en d’autres mots, à éviter de retenir, d’entretenir la présence du mal subi et de s’engager résolument sur cette voie en « sachant » que ce pouvoir de décider (libre arbitre)  qui nous est laissé est un pouvoir de vie ou de mort (v. 28 à 31) que le livre du Deutéronome nous rappelle en ces termes : « Je mets devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie. » (Dt 30, 19).

Laisser aller sans condition et en toute liberté ressemble bien à la capacité souveraine du Seigneur envers nous. Lui ressembler et faire œuvre de miséricorde d’abord envers nous-mêmes restera un défi éternel pour nous les humains. Mais il n’y a pas de petites victoires !


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(1) Lytta Basset, « Le pouvoir de pardonner », Ed. Albin Michel / Labor et Fides, Coll. Spiritualités vivantes, Paris, 1999, 320 p.

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