Aimer - connaître

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Photo de Guy Leroy

dimanche 21 février 2010

La tyrannie de la subjectivité

Dans une société où le sens de l’absolu a été perdu de vue, rien de tel que son petit univers pour devenir soi-même un petit roi de droit divin…
Nous le disions, une société qui a perdu de vue le sens de l’absolu, de l’objectivité, a perdu aussi la capacité de s’extraire de soi et de s’élever, de se distancier. Je dirais même plus, de douter de soi pour en croire un Autre. Cette capacité de décentration qu’il est aisé de perdre progressivement pour différentes raisons est en réalité un enjeu de vie ou de mort pour chaque individu et, plus largement, pour chaque société humaine. Cette capacité humaine d’objectiver, autrement dit de conceptualiser , c'est-à-dire de s’extraire par la pensée de sa propre perception subjective du monde, des choses et des autres est essentielle pour le maintien de la dignité humaine. Je m’explique par la caricature.


Imaginons une société où cette capacité a été perdue totalement. Quels ponts va-t-il rester entre les êtres humains pour qu’ils se comprennent. En premier, c’est le langage qui va progressivement être touché. En effet, comment revenir à parler une même langue lorsque les sens d’un même mot en deviennent à ce point éloignés que le langage n’atteint plus son but ultime ? Le langage et donc la compréhension mutuelle sont meurtries… voire partiellement détruites. Chacun gravite dans son univers de valeur et de sens, sans plus pouvoir parvenir à saisir, à comprendre l’univers de l’autre. C’est l’enfer-mement ! On ne pourrait plus appeler « société » un monde tel que celui que je viens de décrire.

Bien sûr, nous n’en sommes pas là ! Mais il existe en tous temps et en tous lieux des poches où la subjectivité exerce sa tyrannie. Un être humain ainsi que la société humaine où il existe qui perdrait son sens de l’absolu où autrement dit sa capacité à de décentrer de lui-même comme norme absolue perdrait du même coup à la fois sa grandeur, sa dignité et j’irais même plus loin encore, son humanité. Je crois fermement que l’homme qui refuse ou qui perd sa capacité à reconnaître qu’un absolu existe en-dehors de lui-même, est déjà en train de perdre une part de son humanité.

La subjectivité de l’homme ne peut être qu’un don extraordinaire. Je dois bien reconnaître que je n’ai rien fait pour être ce que je suis dans le monde où je vis. Avoir la capacité de percevoir le monde avec mes propres organes sensoriels, avec ma propre approche intellectuelle, avec ma capacité à nommer et à lier et délier les choses – c’est l’intelligence dont je parle ici – est un fait incontestable, extraordinaire et bon. Le défi de l’être humain intelligent est de se rendre compte, et ceci est propre à la démarche scientifique honnête, que notre approche subjective – et même objective avouons-le – est une approche qui ne prend en compte qu’une infime parcelle de la réalité infinie de l’être du monde, de l’être des choses et de l’être de la vie.

Lorsqu’une société en arrive à penser, à proclamer, puis à légiférer que tout est relatif, c'est-à-dire que rien n’existe en soi-même, c’est-à-dire encore que le monde, les choses, les êtres n’existent que parce que je les perçois, alors cette société a perdu de vue, justement, la réalité dans laquelle elle s’est inscrite. Que peuvent bien avoir à partager deux individus partant uniquement de leurs propres perceptions, de leurs propres a-prioris, de leur propre expérience et de leur propres goûts ? La réponse est simple : rien ! Cela ne vous est-il jamais arrivé. Peut-on placer ici l’exemple de la vie conjugale ? Je donnerais cher pour connaître combien de couple se sont brisé sur l’autel de la subjectivité qu’aucun n’a voulu abandonner dans l’écoute de l’autre… Sur la plan politique, combien de tyrans, de tortionnaires, d’usurpateurs et de chefs d’état imbus ont brisé la population de leur pays sur l’autel de la vérité…

Chacun de nous est concerné, car sur le plan spirituel, cela s’appelle le péché . Cela signifie être sur que, sur la base de ma subjectivité ou sur la base d’une quelconque objectivité, je puis détenir une quelconque vérité sur les êtres, le monde, les choses et les y enfermer. (Il va de soi que je m’y suis enfermé moi-même d’abord.)

Bref, pour terminer, je voudrais dire à quel point l’homme est perdu lorsqu’il a perdu le sens de l’absolu. Il se retrouve maître absolu de son monde ; il se retrouve tous pouvoirs clés en mains, certes !  Mais tout seul !

P.S. Le premier commandement de Dieu – et si c’est un commandement ça doit être important, non ? – n’est pas « aimez-vous les uns les autres… », non ! C’est ceci :
« Ecoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta force. Ces commandements que je te donne aujourd’hui resteront dans ton coeur. Tu les rediras à tes fils, tu les répéteras sans cesse, à la maison ou en voyage, que tu sois couché ou que tu sois levé ; tu les attacheras à ton poignet comme un signe, tu les fixeras comme une marque sur ton front, tu les inscriras à l’entrée de ta maison et aux portes de tes villes. » (Dt 6)

Pascal Tornay

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Notes

(1) Conceptualiser signifie réaliser par l’intelligence et la raison une abstraction qui permet de laisser la perception organique, l’émotionnel et le sentimental un peu en retrait, de sorte à former une réalité abstraite différente qui puisse être confrontée à la réalité perceptible ou empirique. C’est cette capacité d’abstraction qui est à la base de la connaissance scientifique.

(2) Au contraire, l’Amour est la force la plus grande sur laquelle on puisse se fonder dans la mesure où elle est la puissance par excellence qui brise les murs de ces petits mondes qui se sont érigés par eux-mêmes sur leur propre base. L’Amour est relation pure, don pur, paradoxe pur. Si Dieu est absolu, il ne peut être qu’Amour absolu.

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