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dimanche 31 décembre 2023

Injuste !

Injuste !

Billet de l'Aumônier, Mouvement Vie et Foi, mars 2022

En allumant la radio dans ma voiture durant le temps de pandémie, je m’amusais à compter bêtement les secondes qui passaient jusqu’au moment où les termes « covid » ou « pandémie » seraient prononcés. En effet, il était rare que 5 secondes passent… Actuellement, je m’essaie au même exercice avec les termes « Ukraine » ou « guerre ». Quel matraquage infernal : plus rien d’autre n’existe ! Face à ce battage médiatique, je me questionne sur notre manière souvent abrutie de consommer l’info.

Qui n’a pas entendu dire : « Les russes ont envahi,… ont attaqué… » Alors qu’il ne s’agit certainement que d’un homme (ou quelques-uns) complètement aveuglé par son pouvoir. Quelle erreur !
En occident, tout ce qui est russe a mauvaise presse ? Pourquoi diable ? Qui donc subit de plein fouet les sanctions économiques occidentales, et notamment la chute du cours du rouble ou l’augmentation générale du coût de la vie ? Quelle injustice !
On a profané et dévalisé des églises orthodoxes et certains prêtres ont reçu des menaces de mort. Qui se venge de quoi, et envers qui ? Quelle ignominie !

Cette focale fait qu’en arrière-fond, nous oublions complètement que des dizaines de milliers de réfugiés arrivés de Syrie, d’Afghanistan ou d’Erythrée vivent chez nous depuis plusieurs années dans une sorte de semi-liberté avec des permis de séjour ultra-restrictifs. En me mettant à leur place, je m’imagine volontiers qu’en regard à l’accueil généreux et enthousiaste des réfugiés ukrainiens, aux manifestations populaires et aux déplacements sur place des plus hautes autorités de notre pays, au fameux permis « S », un sentiment d’injustice pourra monter et créer de fortes tensions.

A quel titre cette différenciation : ne sont-ce pas tous nos frères en humanité ? Comme chrétien, telle est ma réaction. La guerre en Syrie est-elle un peu moins horrible ? J’ai entendu récemment quelqu’un me dire subrepticement qu’eux n’étaient pas chrétiens ! Voilà peut-être la cause de toutes ces injustices : la peur...

Au vert !

 Au vert !

Billet de l'Aumônier, Mouvement Vie et Foi, juin 2022

Manquer et mourir : voici nos peurs les plus profondes. Et, d’une manière ou d’une autre, nous avons tous fait l’expérience du manque et de la mort. Certaines personnes plus terriblement que d’autres, il est vrai. Vous avez aussi, certainement, rencontré des personnes qui témoignent que leur expérience du manque et de la mort ont été des lieux d’extrême fécondité. Je puis être de ceux-là.

Dans notre monde matérialiste, il est facile de croire qu’on porte davantage de « fruits » si on a (ou qu’on se donne) les moyens de poursuivre des objectifs, si l’on peut compter sur un bon réseau de contacts, des compétences avérées, etc.
Peut-être avons-nous fait par ailleurs l’expérience que le manque (la privation, le jeûne, l’impossibilité, l’impasse, etc.) produit aussi d’une certaine manière certains « fruits ». Durant cette matinée, nous voulons creuser la question du rapport entre le manque et la fécondité. Comment et à quelles conditions le manque peut-il être une source de fécondité ?


Au cœur de la nuit…

Au cœur de la nuit…

Billet de l'Aumônier, Mouvement Vie et Foi, octobre 2022

Manquer et mourir : voici les peurs humaines les plus profondes ! D’une manière ou d’une autre, nous faisons tous l’expérience du manque et de la mort au cours de notre vie. Certaines personnes plus terriblement que d’autres, il est vrai. Quel scandale ! Cela nous plonge au cœur du mystère du mal qui ne se laisse pas éclairer si facilement. Pour autant, vous avez certainement rencontré des personnes qui témoignent que leur expérience du manque et/ou de la mort ont pu être des moments à partir desquels est survenue une fécondité (1) insoupçonnée… Je pense être de ceux-là.

Dans notre monde matérialiste, il est facile de croire qu’on porte davantage de « fruits » si l’on a (ou qu’on se donne) les moyens de poursuivre des objectifs, si l’on peut compter sur un bon réseau de contacts, si l’on a acquis des compétences reconnues, etc. Cela est juste, mais au fond, n’est-ce pas aussi un peu illusoire ? Nos fécondités ne sont-elles tributaires que de nos moyens matériels ? Je n’y crois pas. Combien de familles ayant perdu un enfant d’une maladie rare ou d’un cancer se sont lancées à corps éperdus dans des campagnes de récoltes de fonds ou de sensibilisation en faveur d’autres familles touchées par les mêmes maux ? Combien d’improbables associations sont nées à partir d’une fougue qu’un malheur ou un événement dramatique a suscité ? Comment cela se peut-il que, du lieu où le manque et la mort ont été semés, de tels fruits puissent voir le jour ?

Ne nous trompons pas : le manque et la mort ne sont pas eux-mêmes des sources de fécondité. Ne sont-ce pas plutôt ces désirs absolus de vie et d’amour qui sont chevillés à nos corps mortels et qui font bouillonner nos cœurs assoiffés… par le manque ?
Pâques vient comme planter au cœur de nos existences l’événement du salut qui se produit, de manière ahurissante, à partir du don d’amour du Seigneur le Vendredi Saint.
Et, à sa façon, Noël vient nous redire qu’à travers les obstacles et les impasses de l’existence, même au cœur de la nuit, une simple étincelle peut briser les ténèbres. L’enfantement d’un monde neuf se poursuit sous nos yeux et ce, malgré tout. Espérance.

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(1) Fécondité au sens large de « fructueux ».

Le sixième sens

Le sixième sens

Billet de l'aumônier, Mouvement Vie et Foi, janvier 2023

Les femmes, dit-on, ont un sixième sens. Je ne suis pas d’accord. Non pas qu’elles n’en soient pas dotées. Mais bien toute personne. Quel est-il ? L’intuition ? La sagesse ? L’instinct ? Dans plusieurs milieux – même en pastorale – on parle de flair, ce qui le rapproche de l’odorat qui, dit-on encore, est le sens le plus profond, celui des origines. Je me rappelle qu’un des enfants que nous avons accueilli chez nous n’a pu accepter mon épouse comme « maman » que lorsqu’il a détecté une concordance d’odeurs entre lui et elle.

Ce sixième sens ouvre à une sorte d’aptitude mystérieuse à se tenir intérieurement en veille, en vigilance, et à discerner. Ce qui implique, en parallèle, le travail des cinq autres sens. Mais, ce sens-là m’apparaît plus (d)étonnant ! Il semble n’avoir pas de nom propre ! On lui en prête plusieurs comme s’il se trouvait mal (re)connu, ne se laissant pas approcher aussi facilement que ceux qui nous tournent vers l’extérieur. Chose étrange encore. Avez-vous remarqué ? Il est clairement plus affûté chez les personnes fragilisées, en situation de handicap ou de vulnérabilité.

Il semble qu’il nous relie à un univers assez différent de celui des perceptions extérieures. Plutôt vers un monde enfoui au-dedans, comme le levain dans la pâte qu’il fait lever. Un monde mystérieux, pourtant tout à fait perceptible moyennant l’advenue d’un certain silence. Un monde sans lequel nous serions seulement des animaux. Un monde où les acteurs n’ont plus de masques, où les paroles sourdent autrement. Ne serait-ce pas la conscience ? Voilà un sens tout intérieur qui nous appelle, nous relie à nous-mêmes et nous conduit en liberté, en vérité, comme un GPS… Mais alors ! Dieu qu’il est important qu’il soit bien réglé ! Réglé comment ? Je fais quelques propositions qui peuvent être tout autant de résolutions à faire nôtres ou de grâces à demander : le silence, un temps de retraite, la prière d’oraison, la culture de la fraternité, l’émerveillement, le don de soi, l’action de grâce, la vie dans la simplicité.

Etty Hillesum (1914-1943), une jeune juive déportée dans un camp de concentration durant la deuxième guerre mondiale a ce mot allemand – hineinhorchen – pour parler de cette capacité propre à l’humain d’aller dans ce monde intérieur – où Dieu habite. Un « sixième » sens, celui de Dieu, pour nous mettre sur la trace d’un monde si proche « au bas de soi » où, pour devenir ce que nous sommes – des fils et des filles bien-aimés, héritiers du Royaume – nous sommes invités à entrer dans une intimité plus profonde avec nous-mêmes d’abord puis avec ce « Plus-grand-que-soi ». Pour cela il nous faut, comme les enfants, coller notre oreille à la porte pour recueillir ce grand secret.

mardi 26 décembre 2023

La suite ne vous appartient pas...

La suite ne vous appartient pas...

Témoignage donné à la paroisse de St-Maurice (01-04-2023)

Bonsoir. Je suis Pascal Tornay, diacre permanent ordonné en 2019 et en poste dans le Secteur pastoral de Martigny depuis 2017. Epoux de Colette, couturière originaire de Rép. dém. du Congo, nous vivons à Vollèges et sommes famille d’accueil pour des enfants qui nous sont confiés par les Services de l’Etat du Valais.

Comme toute vocation, comme la vôtre de laïc, de papa, de maman, de menuisier, d’infirmière – que sais-je encore – le diaconat est à vivre, à expérimenter. Je dirais davantage : il est à inventer avec audace dans l’aujourd’hui car, en fait, même l’Eglise et souvent les diacres eux-mêmes, personne ne sait vraiment à quoi il peut bien servir. A tout, autant qu’à rien et peut-être est-ce là notre plus grande chance ! Pour ma part, je suis devenu diacre à la suite de l’ouverture d’une porte. Une porte intérieure que j’ai rejointe à travers le temps : mûrissement silencieux. Le jour où je me suis approché sérieusement de la porte et que je l’ai entrouverte, j’ai été à la fois heureux et tiraillé. Heureux comme mis en mouvement par une forme de ministère qui allait dilater mon cœur, et tiraillé comme mis en travail, en gestation, mis en pétrissage comme une pâte fécondée. Après l’ouverture de la porte, j’ai questionné mon épouse à ce sujet : la confirmation est venue sans tarder : « Enfin, tu y es ! Maintenant va à Sion ! » Et les choses se sont enchaînées… Il faut dire que j’avais probablement déjà avant le « diacre au corps » !

J’avais vécu beaucoup d’années d’insatisfaction personnelle et de questionnement comme laïc en pastorale. Je sentais que je ne pouvais pas donner pleine mesure de ce que je portais et cela me peinait. A l’approche de mon ordination, j’ai vécu une période de troubles, comme des contractions. Cela s’est soldé par un accouchement joyeux et une vie diaconale passionnante : baptiser, célébrer des mariages, accompagner des adultes et des enfants notamment donne au ministère une dimension très forte, tout autant que de compagnoner mes discrets amis dans les rues de Martigny : je veux dire les personnes touchées par la précarité, la marginalité, la maladie, l’addiction : des difficultés variées tout autant qu’intenses. Se donner n’est pas toujours naturel, mais c’est source de joie, tout autant que d’accepter de recevoir d’eux, les dits « pauvres », une parole qui bâtit, qui oriente, qui encourage, parfois qui corrige.

Moi, j’ai été ordonné diacre, mais le prêtre est diacre et chacun de nous est diacre à sa manière. A chacun de vous de réveiller cette part du serviteur qui, peut-être, sommeille encore en vous ! Pour ma part, l’image de la porte est significative. J’en ai fait ma devise : « Me tenir sur le seuil pour inviter à passer à l’intérieur », vers cet au-dedans qui est le temple de l’Esprit, vers ce lieu caché – la matrice – où nous avons toujours rendez-vous avec nous-mêmes, où Dieu nous attends et d’où tout peut naître.

Contrairement à mes confrères qui généralement poursuivent leur travail professionnel habituel en étant diacre, pour ma part, je suis diacre « de profession », c’est-à-dire que je suis actif à plein temps en pastorale. Très concrètement, en paroisse, j’assume des tâches très diverses d’organisation, d’accompagnement, d’enseignement, de communication, de célébration et, par ailleurs, au niveau diocésain, l’évêque m’a demandé, avant même que d’être diacre, d’assumer la responsabilité du Service diocésain de Diaconie.

Il y a ce que je peux faire et qui me rend heureux. Il y a souvent aussi ce que je ne peux pas faire ou, mieux dit, les lieux où je suis impuissant, souvent face à des situations de détresse et où je refais l’expérience des mains vides. Je vois bien que le serviteur aux mains vides se reçoit mieux des autres. Il consent à son impuissance et en fait le lieu d’une fraternité plus authentique. Pour moi, c’est une expérience fondatrice. Elle me met dans une situation de fragilité, de pauvreté même, qui me renvoie à ma condition véritable et m’empêche de dominer. Le Seigneur, la veille de mourir, voulait montrer à ses amis comme être grand : en lavant les pieds de ses amis. Voilà, le Christ diacre. Petit avec les petits. A l’offertoire, j’aime présenter à l’autel tous les visages, toutes les situations que j’ai rencontré la semaine durant, comme une action de grâce. En liturgie, le diacre le plus souvent se tait. Ou plutôt, c’est en se taisant qu’il parle. La prière silencieuse, pour moi, c’est une manière de m’unir avec les plus rejetés, les plus isolés, ceux que personne n’écoute plus, ceux qui n’ont plus personne même pour les mépriser. Voilà bien la figure du diacre qu’il me plaît d’incarner, bien maladroitement.

Le diaconat n’est pas le monopole des diacres, c’est une forme de ministère qui, à sa façon, dit l’amour du Christ. Donc, qui que vous soyez, si vous entendez qu’on frappe à votre cœur, répondez : « Parle Seigneur, ta servante / ton serviteur écoute ! »… La suite ne vous appartient pas... 

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Un ministère qui promet…

Un ministère qui promet…

Article publié dans le Magazine Triangles des paroisses de Bagnes, Vollèges et Verbier (28-11-2021)

Être un diacre marié, c’est une chose. Mais être l’époux de Colette en est une autre (rires) ! Je lui dois beaucoup et je suis à son école car sa trajectoire et ses expériences de vie lui donnent une capacité de discernement et une force spirituelle profonde, et d’ailleurs remarquée. C’est elle qui a su la première percevoir l’émergence de ma vocation. A sa façon, elle porte clairement, elle aussi, ce ministère sous des formes qui lui sont propres et ce, depuis bien avant que d’être mon épouse. 

Être un diacre marié en Afrique est une bizarrerie ! Ici en Europe presqu’autant. Le diacre est celui qui n’a pas une place claire. Je me sens parfois comme les plus démunis dont je suis l’ami. Même l’Eglise n’a pas vraiment cerné précisément à quoi il sert ! Dans mon travail quotidien comme à l’autel, j’ai un rôle de serviteur. La plupart du temps, en célébration, le diacre se tait. J’aime apporter silencieusement, tout au long de la messe, la litanie d’intentions particulières que je porte. J’incarne la présence des absents, la voix des sans-voix comme disait l’abbé Pierre, l’estime de Dieu pour les moqués, son amour pour les violentés. Je célèbre et je présente au Seigneur dans un dialogue intime tout ce que j’ai vécu avec les gens la semaine durant.

La manière de célébrer et de prêcher d’un diacre marié et papa marque d’une couleur assez forte ce qu’il dit et ce qu’il fait en tant que ministre ordonné. On me l’a déjà fait remarquer en différents cas : « Jamais un prêtre n’aurait parlé comme ça ! ». Parce que nous sommes peu nombreux (Diocèse de Sion : 21), les diacres – avec tous les autres serviteurs – manifestent la diversité des services qui sont nécessaire à la vie du Peuple de Dieu. Tout cela et bien d’autres aspects qu’il me reste à découvrir me semblent être la richesse d’un ministère qui promet…

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Le pouvoir de pardonner

Le pouvoir de pardonner

Article publié dans le Magazine L'Essentiel du Secteur pastoral de Martigny (2022)

Pardonner : quelle gageure ! Par-delà la blessure infligée, rester les mains ouvertes... Cela ne laisse-t-il pas nombre d’entre nous perplexes ? La miséricorde, voilà bien une des plus puissantes et des plus étonnantes facettes de l’identité du Dieu de Jésus Christ. Une facette qui caractérise aussi l’être humain.

Dans son livre « Le pouvoir de pardonner » (1), la théologienne réformée et professeure de théologie à l'Université de Lausanne Lytta Basset explore les dédales du problème du mal non pas – comme souvent – à partir de ce que les choses devraient être et des concepts a priori de Bien et de Mal, mais plutôt à partir de l’expérience dont elle fait le point de départ de sa réflexion. Un point de départ tout intérieur, autrement dit le « moi souffrant » ou la part de moi-même qui souffre du mal subi.

En s’appuyant sur les récits bibliques, notamment à travers le Livre d’Isaïe (ch. 52 : le serviteur souffrant), sur l’Evangile selon saint Luc (ch. 23 : la Passion) et sur celui selon saint Matthieu (ch. 18 : les paraboles de la miséricorde), son travail fait apparaître que tout être humain possède en lui le pouvoir de pardonner, à condition – et c’est là le nœud de sa réflexion – qu’il accepte de mettre à nu sa blessure, de regarder en face ce qui s’est passé, et ensuite de tout « laisser aller » le mal subit sans condition et en toute liberté.

Dans les propos que je peux recueillir ça et là, j’entends souvent dire qu’il faut « oublier » et qu’ainsi on pourra pardonner. Mais qu’oublie-t-on ? Oublier, reviendrait à refouler, à séparer, à couper, à rejeter cette part de nous-mêmes qui a été touchée par le mal. A partir des textes bibliques, Lytta Basset prend justement le contre-pied de cette approche un peu trop spontanée et qui est si souvent le chemin du pourrissement et de la mort. En compagnie de la figure du serviteur souffrant et du christ lui-même, elle propose une autre voie.

Il s’agirait plutôt d’accepter d’entrer en relation avec cette part souffrante de soi pour la laisser nous parler, pour laisser remonter des tréfonds le suc même de ce qui a été touché pour permettre son intégration et donc la guérison. En abandonnant le fantasme de vouloir par nous-mêmes faire le tri binaire entre le Bien et le Mal, nous refusons de nous ériger en juge pour nous-mêmes. Et en refusant de nous enfermer dans la condamnation de nous-mêmes – confondant ainsi le mal et la part souffrante de nous en nous – nous nous laissons une chance de nous ouvrir à une réalité plus grande encore, l’ouverture à l’autre et la solidarité avec notre moi souffrant.

La théologienne vaudoise a détecté dans les Ecritures la source d’un rapport profondément différent à soi même qui trouve son origine dans le rapport de Dieu lui-même avec chacun de nous. Il ne s’agit jamais d’un rapport d’accusateur à accusé, car sinon comment Dieu nous ouvrirait au salut. Tributaires de cette vision infernale que nous attribuons parfois encore au Seigneur, nous nous enfermons dans un jugement mortel sur nous-mêmes au lieu d’éduquer notre regard au regard même de Dieu sur nous qui envisage, qui nous sauve de nos propres jugements durs et inquisiteurs sur nous-mêmes.

Après avoir renoncé à devenir le juge de notre part souffrante, Lytta Basset nous fait entrevoir un chemin de résurrection (chap. 3 de son livre) qu’elle trace à partir des éléments glanés à travers le chapitre 18 de l’Evangile de Matthieu, les paraboles de la miséricorde, qui sont de véritables perles. Elle en fait une sorte de programme :
Il s’agit premièrement (v. 1 à 4) de s’abaisser à entrer en relation (comme des petits enfants), entrer dans le Royaume dont Lytta Basset dit par ailleurs qu’elle est la part perdue de nous-mêmes. Puis, d’accueillir son enfance blessée au risque, sinon, de reconduire le mal et de blesser à son tour (v. 5 à 7).
Cet accueil de cette part blessée en nous, nous aidera à renoncer à une image de non entamée par le mal et à assumer cette image imparfaite de nous-mêmes (v. 8 à 9).
C’est l’acceptation de notre image entachée par le mal, qui va en réalité, dit Lytta Basset, de nous permettre de nous mettre en quête, en compagnie de Dieu, de notre moi perdu. (v. 10 à 14) et, de là, de nous mettre en quête d’autrui par qui le mal est venu (v. 15 à 20).
Les trois dernières étapes que fait coller notre théologienne au récit évangélique, se proposent de laisser aller le mal subi sans condition et en toute liberté (v. 21 à 27). Cela revient, en d’autres mots, à éviter de retenir, d’entretenir la présence du mal subi et de s’engager résolument sur cette voie en « sachant » que ce pouvoir de décider (libre arbitre)  qui nous est laissé est un pouvoir de vie ou de mort (v. 28 à 31) que le livre du Deutéronome nous rappelle en ces termes : « Je mets devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie. » (Dt 30, 19).

Laisser aller sans condition et en toute liberté ressemble bien à la capacité souveraine du Seigneur envers nous. Lui ressembler et faire œuvre de miséricorde d’abord envers nous-mêmes restera un défi éternel pour nous les humains. Mais il n’y a pas de petites victoires !


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(1) Lytta Basset, « Le pouvoir de pardonner », Ed. Albin Michel / Labor et Fides, Coll. Spiritualités vivantes, Paris, 1999, 320 p.

mardi 20 juillet 2021

Un tant soit peu…

L’humain a soif d’absolu, c’est peu dire ! Il poursuit de grands desseins et veut à tout prix marquer l’histoire de son empreinte. Il aime aussi se démarquer pour se faire remarquer et faire remarquer ses succès, sa domination, ses victoires. De son côté, Dieu a aussi de grands projets. Mais ses méthodes pour marquer l’histoire de sa présence éternelle sont diamétralement opposées à celles des humains. Il agit systématiquement dans l’humilité et la discrétion. Il privilégie toujours la petitesse et aime travailler à partir de la fragilité. « Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi » (1Co 1, 27). Quelle stratégie étonnante et si féconde !

Par la bouche du psalmiste (Ps 130), Dieu met en garde contre ces désirs de grandeurs qui enflamme le cœur humain et lui font perdre la tête ! A de multiples reprises, Jésus montre qu’il suffit de peu pour transformer profondément (éternellement ?) la réalité : un peu de levain dans la pâte et toute la pâte se trouve transformée. Cinq pains et deux poissons suffisent à nourrir une foule innombrable. Une graine de moutarde, la plus petite de toute, donne naissance à un arbre gigantesque dans lequel les oiseaux viennent faire leur nid…

Oui, il suffit de peu, un tant soit peu, un sourire, une main qui s’offre, un coup de téléphone et le Royaume advient ! Par ailleurs, un mot blessant, un geste déplacé suffisent aussi à mettre tout par terre. On aime les événements grandiloquents, mais ils ne remuent que les surfaces et durent le temps d’une rose... Je n’y crois plus. Je crois plutôt aux petits mots, aux petits gestes, qui n’ont de petit que le terme. Je crois à la persévérance dans l’ordinaire, à l’humilité d’un quotidien assumé… Voilà les marques d’un Dieu qui ne cesse de faire de l’immense avec nos petits peu, de l’éternel avec nos petits riens. 

Si tout tient à si peu, alors qu’attendons-nous ?

Image : © pxhere.com

vendredi 13 novembre 2020

L'année liturgique : un tandem en trois "rounds"

L’année liturgique est une merveille de sens ! Elle nous emmène du Ciel à la Terre et de la Terre au Ciel sans discontinuer. A partir de cet éternel va-et-vient – qui va du premier dimanche de l’Avent au dimanche du Christ-Roi – se dessinent deux cycles qui n’en forment, au fond, qu’un seul… puisque tout est lié ! Un « tandem » haut en couleurs…

Les temps de l’année liturgique ne seraient pas si visibles sans ces couleurs typiques arborées par les célébrants sur leurs vêtements à chaque messe et parfois sur le voile d’ambon (c’est-à-dire le tissu qui recouvre le pupitre de lecture par endroit). Les avez-vous remarquées ?

Violet, blanc, vert et rouge… Il se peut qu’on trouve encore parfois, au détour d’un dimanche, d’une fête mariale ou d’une sépulture, du doré, du rose, du bleu et du noir… Vous vous doutez que ces couleurs ont une signification. Allons-y dans l’ordre du temps liturgique ! D’abord le violet, un mélange de bleu (eau) et de rouge (sang). Il est utilisé durant l’Avent et le Carême ainsi que pour les sépultures, c’est-à-dire pour les temps de « suspense » et de deuil. Le blanc (ou doré) est utilisé pour marquer les jours de fête, notamment Noël et Pâques, ainsi que le temps qui suit. De même, on retrouve aussi le blanc (pureté, joie, fête) sur les aubes, les robes de mariées et le vêtement baptismal… Enfin le vert, symbole par excellence de la nature. On l’utilise durant le Temps ordinaire, qui n’est pas synonyme de banal, mais de temps de croissance et de mûrissement après le « suspense » et la fête… Cela fait donc un premier cycle de trois couleurs : violet, blanc, vert autour de Noël (Avent, Temps de Noël et Temps ordinaire) jusqu’au Carême. Avec le début du Carême un deuxième cycle démarre. Il est nettement plus long et centré sur la fête de Pâques (Carême, Temps pascal et Temps ordinaire)

On représente souvent l’année liturgique comme une spirale avec ces trois couleurs dominées par le vert. Pourquoi ? Parce que cette forme montre parfaitement le fait que c’est « toujours la même chose » et, qu’en même temps, ce n’est jamais pareil… Il en va de même dans nos vies : les mois et les saisons reviennent, mais nous les vivons toujours différemment.

Le rouge, signe du feu de l’amour, est porté notamment le Vendredi Saint, à la Pentecôte ou encore pour la fête des saints martyrs. Le noir des sépultures d’autrefois n’est plus guère porté. Le bleu fait parfois irruption dans les paroisses « équipées » à l’Assomption ou à l’Immaculée conception.

On ajoutera que, depuis le Concile Vatican II, l’Eglise universelle a enrichi ce double cycle en élargissant la « gamme » des textes bibliques proclamés durant les célébrations sur trois années nommées A, B et C avec un accent mis respectivement sur les évangiles selon saint Matthieu (A), selon saint Marc (B) et selon saint Luc (C). Pour sa part, l’évangile selon saint Jean est lu à certaines fêtes, tous les ans.

Un sacré « tandem » piloté par l’Esprit qui fait toutes choses nouvelles… Ainsi, au fil d’un double cycle annuel et à travers la « rumination » des Ecritures en trois « rounds », cette spirale montante jalonnée de fêtes que sont les Temps liturgiques – véritable chemin de conversion – nous ouvre en réalité à une autre dimension du temps. Ce n’est plus un fil qui se déroule infiniment, ce sont des opportunités pour aimer davantage. A nous de savoir les saisir…

Image : © LDD (Escalier bramante)
Escalier monumental, en colimaçon double hélicoïdal allégorique, des musées du Vatican à Rome, réalisé en 1932 par l'architecte italien Giuseppe Momo.

 

Réinitiation chrétienne

Ils sont nombreux celles et ceux qui ont été touchés par le coronavirus. Covid, virus, quarantaine, malade, symptômes, il me semble que je n'entends plus que ces mots résonner autour de moi... Peut-être suis-je conditionné, car ma femme et moi avons été touchés par la maladie durant la pause scolaire de fin octobre. Cette assignation à résidence nous a contraint de vivre une certaine réclusion… Moins pénible de supporter de légers symptômes que de ne pas pouvoir partir à vélo durant ce temps automnal de toute beauté…

Le virus, avec ses conséquences multiples et les mesures sanitaires qui accompagnent cette période plongent (Baptême ?) beaucoup de gens dans la souffrance, la psychose, l'angoisse, la pression, l’incertitude ou l'isolement. Surtout celles et ceux qui vivaient déjà ces difficultés auparavant mais aussi, de surcroît, les patronNEs de petites entreprises, les familles en détresse, les soignantEs sous pression, etc.

D’une certaine manière, la présence du virus a aussi pu être le vecteur d’une solidarité et d’une belle communion (Eucharistie ?) – dans l’immeuble, par téléphone ou sur le plan très local par exemple – et ce, bien au-delà de ce qu'une organisation, même religieuse, aurait pu induire... (1). Un virus qui nous met en communion, belle ironie ! A certains égards, de nombreux exemples montrent qu’il a même pu confirmer (Confirmation ?) la présence de liens préexistants entre des personnes et les renforcer.

Tout cela me donne à penser… Ne pourrait-on y voir une forme de réinitiation à la vie sociale que j’aime rapprocher de l’idée de « (ré)initiation chrétienne », du nom du cheminement proposé par l’Eglise et qui va du baptême à la confirmation ? Un chemin de conversion ? Un tremplin ? Dur de parler ainsi lorsque tant souffrent à nos portes ! Et pourtant, je le crois, cette situation (2), alliée à la grâce, a ce potentiel de transformation de nous-mêmes et de notre société.

Nous ne sommes pas égaux devant la maladie. Et au-delà des effets profonds, le virus crée aussi des fossés difficiles à refermer. Ils ne peuvent se refermer entre nous et au-dedans de nous que grâce à une compassion réelle qui se manifeste à travers une présence délicate et une proximité persévérante.

Testé « positif », une foule de questions affleurent. Je me suis immédiatement dit : « Je n’ai pas été assez prudent. J’espère n’avoir donné cette saleté à personne ! » Et le journal intérieur des contacts des derniers jours s’enclenche… Lorsqu'on n'est pas touché soit même dans sa chair, dans sa vie, on ne comprend pas. Je ne prétends pas comprendre mais, à travers cette expérience, j'ai pu ouvrir mon cœur à la réalité de vie de personnes que j’entrevois aujourd’hui sous un jour nouveau. J’accueille différemment les personnes en situation de détresse qui m’appellent ou se présentent au Prieuré de Martigny où j’ai mon bureau. N’est-ce pas là une « réinitiation chrétienne ? »

Au dixième jour de quarantaine, coupé des rythmes et activités habituels que j’affectionne, j’ai commencé à trouver le temps long… J’ai été « contraint de » et je ne suis pas vraiment entré dans une dynamique d’acceptation… C’est là que se niche une deuxième réflexion. Dans cette longueur de temps – plutôt une langueur – j’y vois un lieu crucial. Crucial en raison d’un phénomène de creux qui peut (je dis bien « peut ») paradoxalement être d’une fécondité exceptionnelle. A priori, je me laisserais facilement dire que ces moments sont stériles parce qu’ils sont secs et subis. Et apparemment c’est vrai ! Et alors, je suis comme happé. Je ne suis plus que l’ombre de moi-même. Je n’ai plus les cartes en main. Je suis comme dépossédé, vide….

Mais, n’est-ce pas souvent dans le sillage de ces moments douloureux que montent les abandons les plus féconds, les solitudes les plus habitées, les silences les plus puissants ou les cris les plus significatifs ? Je pense évidemment à Jésus au Calvaire…

Je crois que l’Amour montre son vrai visage dans ces moments-là, dans les creux, où il peut enfin se nicher et éclater à travers un cœur devenu de braise… Crises que beaucoup relisent si souvent comme des instants charnière, des zones de transformation, des lieux de bascules, des opportunités de dernière minute, des revirements insoupçonnés. Et pourquoi pas des parcours d’initiation chrétienne… Oui, mais que personne n’aimerait revivre !

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(1)     Je tire mes propos de situations tirées du sondage réalisé dans la partie francophone du Diocèse de Sion par le Service diocésain de Diaconie intitulé « Corona Expériences ».

(2)   En grec, on parle de « kaïros », c’est-à-dire de moment favorable à un changement profond et durable pour nous permettre parfois en claudiquant, d’aller vers le meilleur.

Crédit image : (C) Eglise catholique de Genève


mardi 21 juillet 2020

Vous qui m'avez (re)mis au monde...


On ne peut pas ne pas être parents! Certes nous ne sommes pas tous des parents nourriciers et éducateurs d’enfants biologiques, mais n’assumons-nous pas toutes et tous quelque part le rôle de parents? Être un humain sur la terre ne nous rend-il pas être responsables les uns des autres à la manières des membres d’une même famille, qui, apparentés dans et par amour acceptent de se laisser éduquer (ou s’élever au beau sens de « prendre de la hauteur ») les uns les autres ?

Concrètement, je suis témoin de nombreuses situations où la qualité de parents est endossée par des tiers. La mienne d’abord comme papa d’accueil de deux petits garçons qui vivent chez nous depuis quelques années… Certes, toutes ces situations portent en elles-mêmes leur lot d’ambiguïtés et sont potentiellement délicates, mais elles sont le plus souvent assumée d’une manière tout à fait étonnante par les deux parties. La régulation de ces relations – qui implique une asymétrie extra-ordinaire (un fils nommé curateur de ses parents p. ex.) – nécessite parfois le recours à des personnes extérieures qui permettent, par un regard neuf et bienveillant, que la relation ne s’enlise pas ou n’enferme pas. Ces responsabilités – que je rapproche de celles des parents parce qu’elles sont réellement éducatives pour les parties prenantes – sont, au fond, de l’ordre de l’amour fraternel. Elles s’enracinent dans le fait que l’humanité est une famille unie et reliée (1 Co 12, 26) à un Père primordial.

Voici quelques exemples vécus de parentalité élargie : une belle-fille prend le temps d’accom-pagner (ménage, courses, dialogue) chaque semaine une tante célibataire. Un époux devient l’assistant de vie de son épouse en situation de maladie chronique. L’amie de confiance d’un homme en détresse personnelle devient sa curatrice ; un couple et une jeune femme se sont rapprochés au point de considérer cette dernière, très concrètement, comme leur propre fille et de leur assurer un total soutien et assistance. Tant d’autres situations pourraient être citées.

On ne naît pas parents : on le devient. Et je crois qu’en réalité, on ne cesse de le devenir. L’âge n’arrête pas ce processus, mais le transforme et l’achève. Je crois aussi qu’on n’est pas « mis au monde » que par un seul père et une seule mère et que, comme le dit un dicton africain : « Il faut tout un village pour élever un enfant »… Et finalement, n’est-on pas « mis au monde » tout notre existence par une foule de personnes qui nous réengendrent ?

Dans un épisode assez connu de l’Evangile, le Christ lui-même se fait provocateur ; il veut secouer et élargir notre pensée au sujet des relations et des responsabilités familiales :
Quelqu’un lui dit : « Ta mère et tes frères sont là, dehors, qui cherchent à te parler. » Jésus lui répondit : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? » Puis, étendant la main vers ses disciples, il dit : « Voici ma mère et mes frères. Car celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. » (Mt 12, 46-50)
Ces paroles – qui ont pu être ressenties comme dures par les proches de Jésus – n’excluent pourtant en rien les rôles biologiques différenciés et cruciaux de maman et papa ! Jésus nous ouvre des perspectives nouvelles.

Dans un texte publié dans la revue Source (2013), Monique Dorsaz commente ainsi : « Au cercle de la famille dans lequel certains voudraient bien l’enfermer, Jésus superpose un autre cercle formé de frères et sœurs qui se réfèrent à un même Père des cieux. Faire ce discernement, remettre en cause les liens naturels de sang, permet d’éviter de s’enliser dans une attitude mortifère qui empêche l’accueil de la nouveauté de l’Esprit. Un Père qui est notre premier parent : celui qui accueille le Père des cieux, comme son Père primordial, sera amené à revisiter les notions de famille, de frère, de sœur. Est-ce que les deux cercles s’excluent ? Non, Jésus invite tout un chacun à être fils et filles du Père, à vivre ce déplacement. Marie par exemple est de sa famille à double titre. » (1)

Récemment ma grand-maman a intégré un EMS à la suite d’une chute, puis d’une hospitalisation. Avant cet épisode, du haut de son excellente santé, elle assumait le fait que, si un accroc survenait, elle serait « bonne pour le home ». Elle a traversé cette épreuve difficile et s’est montrée capable de s’adapter, au-delà de toute espérance, à des environnements étrangers en quelques mois. Franchement, je l’admire et me mets à son école ! Par sa manière de vivre ici et maintenant, par sa confiance ferme au Seigneur malgré les aléas de son âge, par son détachement complet (elle ne possède plus rien) et sa joie d’être simplement avec moi, je constate que nos rencontres continuent de transformer mon regard. A 92 ans, libre comme l’air, elle ne se gêne pas de parachever à sa façon mon éducation à la vie ici-bas !

(1)    https://www.revue-sources.org/qui-est-ma-mere-qui-sont-mes-freres/

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mardi 17 mars 2020

Ralentissement

Ah ce virus ! Il en aura fait parler à toutes les sauces. Et ça continue, puisque j’écris encore à ce sujet… En marge des alertes, des pleurs et des drames par milliers, il y aura eu, plus silencieusement, ce que tant d’esprits (sains.ts?) deman-daient avec ferveur depuis longtemps : un ralentissement de la course folle, un retournement vers davantage de sobriété, de simplicité, un retour à ce – et ceux – qui se trouve-nt autour de soi…

Englué qu’il est dans le superficiel, la course à la possession matérielle et au salut par l’argent et le pouvoir, le genre humain seul serait-il, seul, parvenu à un tel résultat ? Il aura fallu qu’un être vivant microscopique – pour ne pas dire invisible – fasse le sale boulot. Il ne faudrait pas qu’elle nous lâche trop tôt, cette petite bête, car nous repartirions tous autant que nous sommes dans la course infernale… aussi vite que nous avons plongé dans l’immobilité – que par ailleurs j’appelais de mes vœux de manière prophétique, rappelez-vous, dans mon dernier billet (Journal Vie et Foi n° 192).

Nous y voici donc dans une certaine immobilité qui, chez certains, provoque l’anxiété, chez d’autres, la sérénité… Deux camps ! En effet, l’hystérie de certains montrent d’une part combien notre peur de manquer est grande et d’autre part en quoi (ou en qui) nous avons placé notre confiance. Les temps de crise sont de puissantes loupes sociologiques : elles manifestent clairement où nous en sommes avec nous-mêmes, avec les autres et avec le Seigneur ! Cela me rappelle la parabole des brebis et des boucs que le Christ place à sa droite et à sa gauche dans l’Evangile (Mt 25, 33). Comme l’on sait, cette frontière ténue passe à l’intérieur de chacun d’entre nous. Nous avons tous à faire à nos démons. Ces temps si particuliers les feront ressortir. Il faudra leur faire face. Si c’est pour qu’ils nous quittent définitivement, ce sera une excellente chose.

« Mieux vaut s'appuyer sur le Seigneur que de compter sur les hommes ; mieux vaut s'appuyer sur le Seigneur que de compter sur les puissants ! » (Ps 118, 8-9)

Quelle n’a pas été ma surprise de voir les rayons des supermarchés de Sembrancher où j’approvisione ma famille, être dévalisés comme en temps de guerre. J’imaginais cette hystérie avoir lieu dans les grandes villes de Suisse romande… Dans cette situation sans précédent, je nous exhorte à rester dans la paix et la confiance dans le Seigneur et, en toutes circonstances à (ré)agir comme des chrétiens, c’est-à-dire rester à l’écoute de la Parole de Dieu, fidèle à la prière, attentifs aux besoins des plus proches et être prompt à l’action solidaire. Et le dernier mot revient au psalmiste : « Seigneur, je n'ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ; je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent. Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ; mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère. » (Ps 130, 1-2)

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