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Photo de Guy Leroy

vendredi 5 novembre 2010

L’art contemporain, entre vilenie et idiotie

« L’art contemporain, c’est nul ! », tel est le cri qui s’est échappé de moi en visitant l’exposition « elles » du célèbre centre Pompidou à Paris durant l’été 2009. En effet, je savais l’appel du vide et les décalages abscons qu’appellent l’art contemporain (AC), mais j’ai été stupéfait – entre mille autres abs-conneries - par les « œuvres » de Gina Pane. Elle expose en effet « une semaine de son sang menstruel ». En bref, il s’agit de coton imbibé de sang menstruel qui est exposé aux yeux hagards du public dans de petites boîtes translucides. Une pour chaque jour de la semaine. Exquis ! Cette exposition est complétée par un verbiage explicatif emphatique, par un jargon pompeux et intellectualisant qui donnent à l’œuvre son grandiose et sa superbe. Comme pour parer à une œuvre pauvre, muette et surtout sans la moindre beauté intrinsèque !


« ( … ) En exposant ses cotons menstruels, œuvre intitulée “Une semaine de mon sang menstruel”, Gina Pane affirme une position essentialiste en montrant sa réalité, sa singularité de femme aux virtualités d’enfantement. Le sang exposé par Gina Pane renvoie à la dimension organique, biologique de la femme, mais aussi, plus largement à celle de l’Homme en général. Elle démantèle ainsi le tabou du corps en insistant sur la dimension biologique de l’Homme, constitué avant tout d’un corps de chair et de sang. L’action se compose de trois phases consécutives ( La mise en condition, La contraction, Le rejet ) qui établissent un parallèle avec un accouchement et annoncent une des problématiques principales de l’œuvre : la condition de la femme (f éminité et maternité ). Les titres suggèrent aussi que toute création équivaut à un enfantement. Dans la « mise en condition », allongée sur une structure métallique au-dessus de bougies allumées, résistant à la douleur jusqu’aux limites du supportable, Gina Pane essaie de repousser les limites de son corps ainsi que les déterminismes sociaux, et dénonce la souffrance endurée par la femme soumise. »

Tombant récemment sur un article de Christine Sourgins, historienne de l’art, écrivain et attentive à l’art dit contemporain dans la revue chrétienne française « Liberté Politique » (1). L’article intitulé « Une exposition aux Bernardins : à propos de l’exposition "la pesanteur et la grâce" » fustige l’art contemporain sacré, comme un art qui vise « le moins, comme le mieux » et est taxé d’« art constipé ».

J’ai été surpris par la qualité d’écriture de cet article et par la précision conceptuelle avec laquelle l’auteur exprime son dégoût au sujet de l’AC. Bref, j’ai retrouvé quelques jaillissements émotionnels que la vue de ces menstrues avait provoqués. Voici quelques extraits savoureux…

L’exposition joue l’économie de moyens jusqu’à vanter une « fabrication qui n’implique pas de savoir-faire mais une espèce que dépossession, de déprise de la maîtrise, d’abandon ». Autrement dit, moins c’est mieux. D’où la déclaration du plasticien Van der Meulen (un des cinq exposants) : « J’essaie de ne pas peindre, tout en peignant, (me limitant aux) minimum reconnaissable. » p. 85

Les constructions de Tony Stoll s’enorgueillissent d’être « inachevées, non abouties », l’œuvre exposée ressemble à tout et à rien : habitacle ? grosse boîte d’emballage ? on ne sait. Elle est décrite suivant les critères de valorisation de cet AC qui aime qu’une chose soit son contraire. (…) Cette œuvre insignifiante soit-elle d’aspect, est pour celui qui sait jongler avec les mots, un TOUT. (…) Ici les œuvres de Tony Stoll ne « racontent rien, pour laisser surgir quelque chose comme la beauté. » pp. 85-86

(…) Cette apologie de la constipation continue avec Marthe Wéry. (…) Le spectateur d’une œuvre constipée soit savoir se retenir ! (ndlr : quelle perle !) L’essentiel, l’admirable est ailleurs. (…) L’important, c’est le moment où l’artiste s’est retiré pour laisser la place à quelque chose d’autre. p. 86

L’abstraction qu’on nous chante ici n’a rien à voir avec celle de Kandinsky ou Pevsner. Il s’agit d’abstraction conceptuelle ou mieux de conceptualisme abstrait. Le conceptualisme pouvant opérer sur tout : objets détournés, mots, comportements… formes figuratives aussi. Il est historiquement lié au nominalisme Duchampien et permet toutes les contorsions mentales que l’on voudra. p. 87

De la suie dans les idées. (…) Pauvreté de l’objet, mais emphase du langage qui n’hésite pas à convoquer le sublime « grandiose » et Simone Weil, par titre de l’exposition interposée, enrôlée de force dans l’AC. La philosophe écrivait : « La grâce ne s’atteint pas par une volonté héroïque, mais
par la soumission humble aux nécessités de la pesanteur. » p. 87

Une fois qu’on a basculé vers ce conceptualisme, les peintres qui tentent encore d’incarner la chair du monde sur leurs toiles, sont regardés de haut : les créateurs, les vrais, sont les conceptuels. Et le dossier
d’opposer la création d’un côté et représentation ou imitation de la nature, de l’autre. p. 88

Mais que vaut ce processus d’auto-annulation (ce retrait de l’artiste et cette dépossession de maîtrise) quand on est déjà nul ! Baudrillard s’en agaçait déjà en 1996 (dans le complot de l’art, Libération, 20 mai 1996). Pour que la déprise de la maîtrise qu’on nous vante aboutisse, il faudrait au moins, intérieurement, une vraie maîtrise. (…) Suffit-il de laisser tomber le piano pour être musicien. L’artiste conceptuel se prend pour ce dieu désinvolte des philosophes, créateur du monde par une chiquenaude. Qu’est-ce donc que ce spirituel qui s’obtient quand « on passe de rien du tout à quelque chose qui n’est pas défini. p. 89

A force de s’entourer (…) d’œuvres sur le « fil du rasoir », le spirituel chrétien devient aussi évanescent que le couteau sans lame, auquel ne manque que le manche, de Lichtenberg. p. 89.

Sous une forme très politiquement correct, l’injonction est féroce : être béni-oui-oui ou se taire. Pas de vague… on est à votre écoute et vous seriez insensible ? (…) Sur le monde ou la vie, l’AC ne produit pas un questionnement, mais un jugement nihiliste ou relativiste. p. 91.

Tant pis.

Pascal Tornay


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Notes
(1) Liberté politique N° 50, septembre 2010, pp. 85-93.

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