Aimer - connaître

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Photo de Guy Leroy

samedi 27 novembre 2010

Les chrétiens, « néo-moralisateurs » de la société

Comment se situer en tant que chrétien face au constat sévère – à juste titre d’ailleurs – de nombreuses personnalités, tels que des sociologues, des théologiens ou des psychothérapeutes reconnus au sujet du désarroi actuel d’une large couche de la population européenne ? Comment se situer aujourd’hui par rapport à notre société dont les repères éclatent dans les abysses du « tout est relatif » ? Que dire de ces normes morales qui ont forgé la « civilisation » de nos aînés et qui aujourd’hui explosent à l’aune de l’hyper-autonomie des individus ? D’abord, je pense que l’autonomie individuelle est un progrès moral et social inouï dans l’histoire de l’humanité. Jamais, le lien « individu-société » n’a été aussi distendu qu’actuellement. Je pose que cette évolution est avant tout positive. On connaît assez bien les conséquences des carcans d’une société qui fait de ses sujets des « moulés sur mesure ». J’admets évidemment aussi que cette autonomie est extrêmement difficile à contenir, à « socialiser » ou – mieux dit encore – à intégrer sur le plan du « vivre-ensemble », du lien communautaire. C’est une liberté nouvelle qu’il nous faut utiliser. Je crois qu’il nous faut pour cela un tissu de valeurs communes, sociales et humanisantes. Mais comment les chrétiens doivent-ils s’y prendre pour les insuffler dans la
société où il vivent ?

Je ressens à travers les discours de certains chrétiens engagés et notamment dans les milieux proches des communautés nouvelles, et dans l’esprit de certaines manifestations chrétiennes, une stigmatisation systématique de la société moderne et un désir latent de « remoralisation ». Face à l’arrivée de musulmans « convaincus » par exemple, je sens certains chrétiens qui souhaiteraient leur en « remontrer » au mauvais sens du terme. « Instaurer une certaine fierté d’être chrétien ! » Je comprend cette réaction, mais je elle me met mal à l’aise, car je pense qu’elle est un leurre, un sentier illusoire…

Un texte épistolaire et apologétique très connu du IIè siècle parle d’une très belle manière de l’enracinement des chrétiens dans la société où ils vivent : « Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les coutumes. Car ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils n’emploient pas quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier. Leur doctrine n’a pas été découverte par l’imagination ou les rêveries d’esprits inquiets ; ils ne se font pas, comme tant d’autres, les champions d’une doctrine d’origine humaine. Ils habitent les cités grecques et les cités barbares suivant le destin de chacun; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et le reste de l’existence, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur manière de vivre. (…) Ils sont dans la chair, mais ils ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre est plus parfaite que les lois. »

De mon point de vue, ce texte est un hymne à la manière dont s’y sont pris les premiers chrétiens dont l’auteur se fait le témoin, pour donner la saveur du Ciel sur la terre ! Un hymne à cette manière d’être levain enfoui dans la pâte sociale pour lui partager les normes morales tirées de la vie et du message de Jésus Christ. C’est de cet enfouissement dont a besoin la pâte de notre société pour qu’elle puisse se « relever » – c'est-à-dire ressusciter en sens ultime du terme – vivre et vivre ensemble aujourd’hui. 

Comment ?

– Non pas en en « remontrant » aux membres de la société par l’autorité d’une nouvelle doctrine sociale ou politique pompeuse et « remoralisatrice » fut-elle chrétienne !

– Non pas en condamnant un passé ou les membres d’une génération soi-disant perdue !

– Non pas en stigmatisant les soi-disant impies, pervers, idolâtres, homosexuels ou dévoyés en tous genre !

– Non pas en injectant une nouvelle vision l’Homme ou de la vie humaine, fut-elle biblique ou évangélique !

Mais en promouvant, en développant le lien ecclésial et individuel avec le Christ Seigneur et Sauveur, comme valeur humaine et sociale en tant que tel.

Mais en témoignant en justice et en vérité de l’espérance et de l’amour fondamentale de Dieu pour l’Homme ; en manifestant dans l’expérience du quotidien un Dieu-Charité sans condition aucune ;

Mais en manifestant par des actes de charités, les plus petits soient-ils, notre amour de la société actuelle et de ses membres les plus pauvres au sens le plus large du terme.

On acquiescera : « Mais c’est évident ! » Non, ce n’est pas si évident. Car c’est au cœur de chacun de nous que ce combat se joue avant tout et pas d’abord sur le plan social. Des filtres puissants s’interposent dans notre cœur blessé, des filtres inconscients et malins s’insinuent au plus profond de notre être qui biaisent notre vision et notre action. La conversion permanente, ce n’est pas acquérir un nouveau panel de valeurs morales, fussent-elles chrétiennes et évangéliques ! Seul un lien étroit et  quotidien avec le  Christ-Chemin-Vérité-et-Vie dans la prière et l’écoute de la Parole est en mesure de subvenir aux défis sociaux de notre temps. Voilà à mon sens la seule voie qui pourra donner à notre temps un sens, une beauté et une joie que tant de nos contemporains recherchent encore dans les larmes et les cris, et dans d’ineffables gémissements.

Tel est selon moi le beau et le grand défi – le plus central – des chrétiens où qu’ils soient, d’où qu’ils agissent…

Je pense ici en tout particulier à celles et ceux qui, élus ou engagés sur le plan politique, doivent faire ce travail de traduction de leur foi en valeurs humaines et éthiques. Ici et là, les solutions les moins pires doivent être trouvées et des choix complexes doivent être faits. De tels engagements ennoblissent la tâche politique et lui donne une valeur exceptionnelle à mes yeux. Manifester la charité, l'oeuvre humaine la plus puissante !



© L'Internaute Magazine / Carole Pausé
Paris - Le Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris
Aimé-Nicolas Morot (Nancy 1850 - Dinard 1913), Le Bon Samaritain, 1880, huile sur toile

Pascal Tornay

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