Aimer - connaître

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Photo de Guy Leroy

vendredi 8 février 2008

Lettre à mon amie imaginaire.

A l'heure où j'écris ces lignes, tu dors bien douillètement. Ces heures sont précieuses, car elles sont dominées par quelque chose de grand, de mal compris, de très très beau et de mystérieux. Tu vas comprendre.

Ceci est très spécial, je veux dire par là que dans notre monde il se fait de plus en plus rare et qu'en même temps c'est un bien tellement simple à obtenir qu'il est étonnant que si peu de gens s'en accomodent. C'est une sorte d'esprit puissant mais doux, qui inspire soit un bien-être intense, soit une impression de mélancolie ou de crainte terrible. Les hommes ont souvent délaissé ou oublié cette merveilleuse présence si discrète qui, si l'on y prend garde, enrichit notre âme et vient nous habiter. Ceux qui ont su tirer profit de ses bienfaits ont bien de la chance. Ils brûlent d'un feu mystérieux, et jouissent d'un bonheur dont eux seuls connaissent la provenance.

Il est extrêmement difficile à caractériser, il est comme une anguille qu'on essaierait de saisir et qui nous glisserait à chaque fois entre les doigts. Mais, pour le cerner un tant soit peu, il n'est besoin de n'être doté que de bonne volonté, d'humilité, d'un coeur et d'une âme. La besogne peut paraître simple mais est bel et bien ardue. Son souffle est puissant mais discret, magique mais bien réel. Il est tendre et provocateur, insipide et quelquefois trompeur. On dit même qu'il est "d'or" lorsqu'il arrive à point. En vérité il vaut bien plus que tout l'or du monde, car personne n'en peut acheter et c'est heureux ainsi ! Le définir relève de l'impossible ou mieux, de l'inimaginable. Il est riche en pensées mais pauvre en mots; riche de rien et pauvre de tout. Il n'EST rien en-soi mais tout pour-toi. Et c'est bien le fait qu'il ne soit rien qui fait qu'il existe et cela suffit bien largement entourer son existence d'un voile opaque. C'est là toute sa richesse et sa force. Il fait souvent peur lorsqu'on a des problèmes et qu'on a pas le courage de se remettre en question. En ces moments son murmure vient taquiner notre esprit régulièrement et vient reposer ses questions, toujours les mêmes, les vraies, celles qu'on trouve idiotes, inutiles mais qui sont à la base de notre vie, celles qui demandent à sortir, à être exprimées et comprises. J'ai remarqué que ce phénomène était fréquent chez les jeunes, chez qui cette chose est presque toujours ressentie comme un mal-être absurde, une sorte de tristesse où l'on s'enferme, comprise comme un chemin sans issue où l'on se fourvoiera sûrement. Ce qui n'arrange rien car cela repousse simplement les questions à plus tard. Pour ces gens-là, il (ce souffle) est insupportable, il harcèle, envahit le coeur jusqu'à ce que des réponses soit données, jusqu'à ce que la personne fasse face à ses problèmes. Bien que cet esprit de sagesse fasse peur, il nous est, au fond, indispensable. En effet, chacun a besoin de se remettre en question, de faire de l'ordre dans sa vie. Chacun a besoin d'écouter son coeur battre, de se comprendre, de se bâtir devrai-je dire, simplement parce que l'homme est ainsi fait qu'il a besoin de remparts dans son existence, de balises au bord de sa route. Il faut apprendre à s'apprivoiser d'abord soi-même, aller une fois pour toute au fond des choses. Il n'existe pas mille moyens d'y parvenir que de s'arrêter un peu et d'écouter. Cette petite merveille est une nourriture pour l'âme. L'homme qui ne s'en nourrit jamais se trouve rapidement en manque, il devient aigri, renfrogné, violent, dénué de tout sentiment. (Et qu'est-ce qu'un humain si ce n'est un gros tas de sentiments). Cette carence l'affaiblit et le paralyse et ses effets sont devastateurs.
 
A celui qui l'apprivoise, il offre son éventail de suprises, de caresses et de magie. Il est étonnant qu'une chose aussi insignifiante devienne si vitale, si incontournable. Plus tu essaies de l'éviter, de le rejeter, plus il te poursuivra. Sois en sûre avec lui tu perdras. C'est un bonheur ineffable, dans le sens où il peut te faire comprendre les plus belles histoires, te faire naviguer sur les mers les plus houleuses et te faire voir les contrées les plus reculées. Il n'est pas égoïste, toujours à l'écoute de ton moindre désir, il ne te contredit jamais, mais te fera saisir le juste chemin, ton chemin. Si tu es triste, il est triste avec toi; si tu es joyeuse, il l'est avec toi. Il partage tout. Mais ce qu'il n'aime pas, mais pas du tout, c'est qu'on le refuse. Tout, mais ça...pas. Il revient à la charge, ...pas tout de suite, mais il revient toujours taper aux carreaux de ton âme un soir, un matin, sans crier gare.

Moi, je ne partage pas le mien. Je plonge souvent en lui mais il m'emmène tellement loin que j'ai grand-peine à revenir. Parfois même j'aimerais ne jamais revenir. Son goût doucereux séduit mais lui, ne se laisse pas séduire. Il n'est pas dupe. Il doit rester maître. Même les plus fins esprits s'y sont cassé la tête, pour lui faire dire ce que jamais il ne dira. Il ne dit rien et c'est pour cela qu'on l'aime. On a l'impression d'être écouté, d'être compris. Cela rassure, cela calme. Il te guidera par monts et par vaux à travers dures épreuves, petits bonheurs, et doux câlins. Mets en lui ta confiance. Ses conseils sont bons car se sont les tiens qu'il te traduit. Ce que tu penses ne semble pas toujours clair, lui il clarifie, trie, et console. Il t'en fait simplement prendre conscience.

"Il" est asexué comme tout ce qui ne s'achète ni ne se vend et tout ce qui ne vit pas. Il est absolu, entier et indivisible, immortel et éternel puisque hors du temps. Il peut être aussi savoureux que déprimant, aussi acide que déroutant. Il est plus difficile à rencontrer à plusieurs que seul (surtout si tu es avec moi, par exemple...) L'homme souffre terriblement sans lui. Ce rare onguent donne du goût à notre vie. C'est un peu le sel que l'on ajoute à la recette. Si insignifiant soit l'ingrédient mais il donnera au repas son relief. A toi seule de doser... Son chant résonne intensément, c'est fou, il caresse, souffle, murmure en toi, il occupe toute la place, et comme il occupe toute la place, il est aisé à saisir qu'il est des situations où le rencontrer relève du défi. Comme il est mal aimée cet enfant de la nuit.

Apprivoise-le doucement, tous les jours approche t'en un peu plus. Bientôt tu seras protégée par son emprise. Son mystère attire, son mystère a toujours attiré et il attirera encore. Le mystère est un de ses proches voisins. Ils sont même très liés. Pars à la recherche de ce puis merveilleux, reflet de nos pensées secrètes si puissamment présent en nous, si indispensable, si mal-aimé. Il te consolera lorsque tu pleurera. Il rira avec toi. Lorsqu'il est là, il ne l'est que pour toi. Ainsi en va-t-il de ce baiser à la vie qu'on nomme le silence. Sois heureuse.

Pascal Tornay

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